SCIENCE ET MYSTIQUE APRÈS LA MODERNITÉ .



Fusion sujet-objet. –

Le savant classique mettait à distance, objectivait, ses thèmes de recherche.

Il adoptait la position du spectateur désengagé, tandis que le chercheur d’aujourd’hui est « impliqué » dans le monde qu’il observe. Cela rejoint la solidarité essentielle entre l’homme et la nature.

Tous les dualismes caractéristiques de la philosophie de la nature de l’époque précédente (énergie-matière, espace-temps, onde-particule) ne sont, en fait, que des aspects complémentaires d’une seule et même réalité, dont observateur (scientifique) et objet (de science) sont partie prenante.

Circularité. –

La non-séparabilité des composantes du monde fait que la figure la plus adéquate pour exprimer le mouvement fondamental est le cercle. Non seulement les séparations sont abolies, mais les contraires se résolvent, puisque les polarités apparaissent comme des projections linéaires d’un mouvement circulaire plus fondamental.

Le rapport au temps se trouve donc aboli : passé, présent et futur sont résorbés en un seul instant présent,

« infini, éternel, et cependant dynamique.

19 ». Il n’y a plus successivité linéaire des instants, sentiment d’une irréversible        « fuite » du temps, mais flux, à la fois permanent et mobile.

La résistance du mal.

Plusieurs théologiens accueillent favorablement ce changement de paradigme. Certains y voient l’émergence d’une théologie radicalement nouvelle, transgressant les séparations traditionnelles, en particulier confessionnelles, au profit d’une religion universelle où le cosmos, espace commun de l’humanité, serait le centre de ralliement .

20. Plus sobrement, d’autres cherchent des critères pour intégrer la nature dans la confession de foi, sans verser dans la gnose.

Retrouver le sens de la gratuité, de l’enchantement devant la beauté du cosmos, n’est pas étranger au christia- nisme. Une théologie trop rationnelle, pétrifiée dans ses dogmes et dans ses normes, l’avait oublié.

Les courants actuels nous obligent à redécouvrir cette dimension, très présente dans la théologie des premiers siècles, particulièrement en Orient.

Cette solidarité est-elle fusion ?

La tendance actuelle irait volontiers vers une intégration globale, « holistique », dans la plénitude d’une nature réunifiée. L’homme est en parfaite symbiose avec un univers qui l’a « engendré »

Antoine Laurent Lavoisier  l’avait déjà énoncé :

« Rien ne se perd rien ne se crée, tout se transforme et évolue. »

22. Il n’est pas même interdit de voir au

« fond » du cosmos la présence d’un Principe organisateur, d’une Intelligence créatrice, d’une divinité agissante, mais impersonnelle. L’existence d’une « Cause première » peut être discutée, si elle implique une idée de commencement .

23. Il n’en reste pas moins qu’est vigoureusement refusée l’image d’un Dieu législateur, transcendant au monde.

La fascination pour les

« théories du tout », pour l’équation universelle, reflet de la « pensée de Dieu » (S. Hawking), exprime bien cette réduction unitaire. Un monde plein est un monde quasiment sans contingence, sans incertitude, sans surprise, autrement dit, sans histoire.

Si l’on critique volontiers la volonté de maîtrise de l’homme moderne sur le monde, c’est au profit d’une symbiose apaisée, par laquelle l’homme perçoit de l’intérieur le fonctionnement du monde. Rien ne peut échapper à celui qui a acquis cette « sagesse » cosmique.

     Dans l’instant de la vision, même l’évolution du vivant lui apparaît dans l’intemporalité de son principe.

On comprend alors que le point critique majeur de cette solidarité universelle sera le problème du mal. Obscur dans les spiritualités nouvelles, mais aussi dans les propos de nombreux scientifiques, il est souvent traité comme une apparence, quand il n’est pas tout simplement ignoré

24. La tendance des religions de nature est, en effet, de repousser ce problème. Alors que la plupart des courants de pensée de ce siècle sont profondément marqués par cette question, régulièrement activée par les guerres, les génocides et les totalitarismes, la nouvelle religiosité l’écarte dans une vision optimiste du monde.

25. l’attitude de Einstein devant la mort de l’un de ses amis : « Michele [Besso] m’a précédé de peu pour quitter ce monde étrange. Cela n’a pas d’importance. Pour nous autres, physiciens convaincus, la distinction entre passé, présent et futur n’est qu’une illusion, même si elle est tenace »

A contrario, on trouve une prise en compte très nette de la souffrance chez le géophysicien Xavier Le Pichon :

Aux racines de l’homme. De la mort à l’amour.

Le regard est invité à se déporter des violences de l’histoire vers la contemplation de l’harmonie cosmique. Dans ce mélange mystique « oriental », l’idée domine que le mal ne serait qu’illusion, attachement aux apparences.

L’illumination permet de le dépasser.

La science contribue à ce dépassement. Elle peut être un refuge, à l’abri des aléas d’une histoire intolérante, mesquine et violente, qui écrase l’homme, un moyen de « transcender la pesanteur de notre corps et la brièveté de notre vie ».

25- Plutôt que le bruit et la fureur de l’Histoire, elle fait entendre la « mélodie secrète » du Cosmos.

     Einstein, qui se reconnaissait comme esprit « profondément religieux », a su exprimer sa « religion cosmique » en des termes qui éveillent encore de profondes résonances.

26. La science permet de s’élever bien au-dessus de la médiocrité des sociétés humaines et de ressentir une joie profonde, un « émerveillement devant la beauté et la majesté du monde ».

A l’image de l’alpiniste, le savant est motivé par une « volonté d’évasion du quotidien dans sa rigueur cruelle et sa monotonie désespérante ». L’image scientifique du monde, simple et claire, se substitue à la complexité inextricable du monde vécu.

Une vision scientifico-cosmique

La fascination pour une telle « religion cosmique » est très présente dans les tendances actuelles. L’intérêt pour l’astronomie, donnant accès à une intelligence supérieure du monde, en est une composante. Le big bang, allégrement confondu avec la création, est le principe du monde. Aucune indétermination ne s’y glisse.

Tout est « finement réglé » pour que l’homme apparaisse. L’évolution est inscrite au début, selon une sorte d’« ADN cosmique » : « Il y a un ordre clair dans l’évolution de l’univers, allant d’une simplicité et d’une symétrie initiales vers une complexité sans cesse croissante des structures. »

27- La tendance contemporaine ici décrite n’attend le salut, ni d’une foi (toujours fragile), ni d’une connaissance (toujours longue et incertaine), mais d’une vision ou, plus précisément, d’une illumination.

« Si donc ton œil 👁 est unique, tout ton corps sera éclairé. »Bible

Le voir prend le relais du croire et du savoir. L’être ne s’attend pas, il ne se cherche pas, il se révèle dans un « vaste présent immobile ».

28- L’insaisissable du temps qui passe se résorbe dans la plénitude de l’instant présent. Cela peut, d’ailleurs, s’accompagner d’un sentiment de fatalité. S’unir à l’intelligence cosmique, c’est, d’une certaine façon, *renoncer à sa liberté simplement humaine, au profit d’une liberté supérieure*, conforme à l’ordre naturel et inscrite dans l’« harmonie des sphères ».
* Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.* Êtes-vous prêts à renoncer à votre individualité pour intégrer l’unité  ? F.Rimpel 

Pour la pensée chrétienne, en revanche, la bonté du monde est l’objet d’une promesse. Elle ne relève pas d’un constat immédiat, ni même d’une traversée des apparences. Il ne suffit pas de retourner le phénomène pour que se révèle une structure cachée, harmonieuse.
La révélation s’inscrit dans un temps, dans une durée. Retrouver une communion harmonieuse avec la création ne se réalise pas en s’évadant du tragique du monde.

  La mort n’est pas évitée, mais mystérieusement traversée.

La question du mal, de la souffrance et de la mort apparaît comme un lieu sensible dans la vision mystico-scientifique du monde.

Le mal met en cause toute repré- sentation « pleine ». Sans se laisser fasciner par le tragique, il est possible, néanmoins, de parler de bonté et de beauté du créé. Mais cette parole engage dans la patience d’une histoire.

La diffusion d’une nouvelle représentation spirituelle du monde, où la science a sa part, oblige la théologie à prendre en compte cette situation.

Le souci de la nature nécessite un meilleur accueil théologique du cosmos, de la matière, du corps. Une théologie du corps tient l’équilibre entre un matérialisme qui ignore l’esprit et un spiritualisme qui méprise la matière. Le fort désir d’intégration, d’harmonie universelle, incite à redonner place à la communion. Celle-ci n’est pas fusion, mais entrée progressive, patiente, en relation. Elle est une visée qui respecte la distance, qui laisse un écart au déploiement d’une liberté.

Le rôle de certaines personnalités scientifiques, dans ce courant actuel, montre une plus grande connivence qu’on ne le croyait entre « science » et                « mystique ». Sans réduire la science contemporaine à ces courants spiritualistes, il faut s’interroger sur leur succès populaire.

      La séduction de grands esprits, authentiquement scientifiques, pour le     « spirituel » révèle une dimension souvent occultée de leur recherche.

La quête de l’unité, en particulier, soulève des résonances nettement religieuses. L’expression vulgarisée des théories les plus contemporaines renforce souvent ce sentiment.

A l’encontre, on peut faire valoir que la science a une histoire.

Elle rencontre la surprise de la découverte et l’échec de certaines solutions, l’éclair des inventions et la nuit des tâtonnements incertains.

C’est autour d’une sensibilité au temps que peut s’accrocher un dialogue entre scientifique et théologien chrétien.

Loin de toute fascination pour le monde plein des religions cosmiques, ils peuvent ensemble exprimer la fragilité et la beauté d’un monde confié à la liberté de l’homme.

1 commentaire

  1. Dès l’aube de la vie humaine sur terre, l’arbre de notre curiosité pousse jusqu’à ce que ses branches partent dans tous les sens de l’univers.

    Des particules subatomiques aux corps célestes de dimensions gigantesques, l’objet observé a longtemps été imprégné par l’âme de l’observateur au travers du miroir de son regard scrutateur.

    Suite à ce procédé dualiste d’observations dans la réflexion par interactions des fractions, nous sommes pris aux pièges de la science et de la fiction, à
    la liaison desquelles chaque découverte forme une triangulation dont les sommets constituent les formes de nos restrospections.

    Tantôt elles partent d’une démarche logique et statique comme si nous voulions suivre un ligne droite à partir d’un repère de réflexion sans tractations pour aboutir à une solution.

    Cependant, la force des événements oblige souvent à des déviations à partir des points de bifurcation au profit d’un tournant dans la conception des relations existantes entre les éléments constituant des ensembles dans le jeu d’ensemble envisagé, afin de maîtriser le mouvement des ensembles selon le vœu des efforts scientifiques déployés.

    Ainsi donc, sommes-nous obligés à réessayer comme une nécessité dans le but de nous faire expérimenter les réalités préexistantes en cercle dans le va et vient de nos idées fort souvent mal envisagées.

    Arrive ensuite des déceptions et des révoltes quand après tant de temps dépensés en vain à faire évoluer le temps au goût d’une modernité repondant en vain aux attentes de la société.

    A forces de répétition dans nos essais à nous faire soumettre l’environnement, d’autres formes de réflexions arrivent et donnent naissances à d’autres réalités comme le mysticisme, la religion, la superstition….

    Mettant tout cela ensemble, nous nous trouvons à la croisée des chemins faits de nos réalisations et de nos illusions dans un voyage vers les contrées de notre évolution.

    Pourtant, de l’avis de plus d’un nous faisons marche arrière en direction de l’abîme de l’involution malgré nos progressions en rond dans notre quête de modernité en action.

    Pour d’autres, nous nous trouvons actuellement et depuis pas mal de temps à l’apogée de la civilisation humaine au regard des facilités créées et qui sont sans cesse améliorées.

    Qui des deux tendances ont raisons ?

    Sommes-nous plus heureux que nos aïeux ?

    Pouvons nous vraiment parler de modernité quand tout est centré sur l’intérêt du sujet fort souvent en opposition avec celui de l’ensemble?

    « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » disait Rabelais

    En quoi le mysticisme et la science coopèrent ils ensemble pour que cette conscience dans le champs des recherches puissent être éclairées, renforcées et vivifier pour le bien de l’humanité?

    Merci mon ami pour cette contribution combien utile.

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